MÉMOIRE DE L’ASSOCIATION CANADIENNE DES
PROFESSEURES ET PROFESSEURS D’UNIVERSITÉ

I.    Introduction et sommaire

L’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU) représente plus de 66 000 professeurs, bibliothécaires, chercheurs, spécialistes et employés qui travaillent dans plus de 120 universités et collèges dans chacune des provinces. Notre mandat consiste à améliorer l’accessibilité et la qualité des études postsecondaires et à défendre la liberté du milieu universitaire.

Il est devenu évident, au cours des derniers mois, que l’économie mondiale continue de subir des turbulences. La stimulation économique découlant de l’augmentation des dépenses gouvernementales et les bas taux d’intérêt ont initialement contribué à stabiliser l’économie. Toutefois, les perspectives d’une reprise soutenue demeurent toujours incertaines, les gouvernements adoptant maintenant des mesures d’austérité.

L’obsession actuelle du gouvernement canadien à l’égard de la réduction du déficit par le biais de réduction des programmes est difficile à justifier. Il reste un certain nombre de risques mondiaux et nationaux graves pour les perspectives économiques à court terme et les réductions des dépenses pourraient interrompre ce qui est déjà une reprise fragile. En fait, la dette fédérale par rapport au PIB reste inférieure à celle qui avait été observée en 2005‑2006 et elle est, comme s’en vante le gouvernement, inférieure à celle de tout autre pays du G‑7.

Devant cette lacune, le gouvernement canadien doit réorienter ses efforts vers la création d’une reprise économique en investissant dans les programmes et initiatives qui créent des emplois de qualité et qui jettent les bases d’une croissance durable et sur le développement social et culturel à long terme du Canada. À cet égard, l’un des investissements les plus importants que le gouvernement fédéral peut faire dans le prochain budget est un investissement dans les études postsecondaires et dans la recherche. L’ACPPE recommande au gouvernement fédéral d’élaborer, en accord avec les provinces, une stratégie pancanadienne visant à stimuler la recherche scientifique et à améliorer l’accessibilité et la qualité des études postsecondaires. Voici les éléments clés de cette stratégie :

·         augmenter de 500 millions de dollars les fonds fournis par le CRSH, le CRSNG et les IRSC pour la recherche fondamentale;

·         adopter une loi canadienne sur l’enseignement postsecondaire, inspirée de la Loi canadienne sur la santé, qui établit clairement les responsabilités et les attentes des gouvernements fédéral et provinciaux, des lignes directrices et des principes pancanadiens et une formule de financement à long terme et stable;

·         élargir le Programme canadien de subventions aux étudiants pour fournir une aide accrue aux étudiants  issus d’une famille à revenus faibles ou moyens et pour accorder une aide financière complète à tous les étudiants autochtones remplissant les conditions.

II.   Stratégie pancanadienne pour l’éducation et la recherche postsecondaires

A.  Investir dans la recherche scientifique

Dans le budget de 2009, le financement pour les trois organismes subventionnaires fédéraux, a été réduit de 147,9 millions de dollars sur trois ans, ce qui a entraîné l’élimination de plusieurs programmes appuyant la recherche fondamentale. Dans le budget de 2010, on a majoré le financement de base de tout juste 32 millions de dollars par année. Le budget de 2011 a ajouté une majoration tout aussi modeste de 37 millions de dollars, et 10 millions de plus ont été affectés au Programme des coûts indirects géré par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH). Ce dernier montant exclu, le nouveau financement de base pour les organismes subventionnaires représente en 2011 une augmentation de seulement 1,7 %.

Après rajustement en fonction de l’inflation, les organismes subventionnaires ont vu leur budget de base subir une érosion constante au cours des cinq dernières années. De plus 2007‑2008, le financement du CRSH a diminué de plus de 10 % en chiffres absolus. Le financement accordé au CRSNG a subi une baisse plus modeste de 1,2 %, tandis que le financement de base des IRSC a diminué de 4,1 %.

             
 

2007-2008

2008-2009

2009-2010

2010-2011

2011-2012

Pourcentage d’écart (2007-2012)

CRSG

383,7

358,1

350,4

342,5

342,6

-11

CRSNG

1057,9

1051,8

1070,6

1050,7

1044,8

-1,2

IRSC

1017,8

989,8

1001,8

980,8

976,3

-4,1

Coûts indirects

327,8

335,7

330,9

322,4

325,9

-0,5

Total

2787,2

2735,4

2753,6

2696,4

2689.6

-3,5

Tout en fournissant un financement insuffisant pour la recherche fondamentale dans les derniers budgets, le gouvernement a ciblé de nouveaux investissements dans la recherche directe qui semblent prometteurs sur le plan de la valeur commerciale immédiate. Il fait toutefois ainsi preuve de courte vue dans sa façon d’aborder le progrès scientifique. La découverte des rayons X, du nylon, du Teflon, de la technologie de localisation GPS, de l’informatique, de la supraconductivité et de l’imagerie médicale ne sont que quelques‑unes des innovations qui ont découlé de résultats non prévus de la recherche fondamentale.

Ce la explique pourquoi les chercheurs universitaires du Canada restent profondément troublés par la tendance croissante du gouvernement à imposer des contraintes excessives sur le financement de la recherche et à contourner le processus d’examen par les pairs. Plutôt que de permettre au milieu scientifique de déterminer quels projets de recherche justifient le mieux une aide financière, le gouvernement a exigé que les organismes subventionnaires orientent la nouvelle aide financière vers des disciplines et des sujets précis qu’il a lui‑même définis. De plus, la nouvelle aide financière offerte pour les bourses d’études supérieures ciblait uniquement les étudiants inscrits dans des programmes liés au domaine commercial. Fait plus inquiétant encore, le gouvernement s’est servi du budget pour orienter de façon préemptive une aide financière précise vers des établissements en particulier.

Enfin, le manque d’engagement du gouvernement quant aux données indépendantes et fiables fournies par la science gouvernementale préoccupe également l’ACPPU. Des réductions de postes annoncées dernièrement à Environnement Canada et au Conseil national de recherches par exemple soulèvent d’importantes préoccupations. De même, des réductions du financement de Statistique Canada touchent une partie importante du milieu de la recherche au Canada, qui s’appuie sur les données produites par cet organisme pour effectuer de la recherche dans tous les secteurs scientifiques. En raison d’une réduction de six millions de dollars, à la suite de l’examen stratégique du gouvernement, plusieurs enquêtes importantes menées par Statistique Canada ont déjà été abolies et l’avenir d’autres enquêtes demeure incertain. La décision mal avisée de mettre un terme à la nature obligatoire du questionnaire détaillé du recensement a été condamnée par pratiquement tous les statisticiens et spécialistes en sciences sociales du pays. Les fonctionnaires de Statistique Canada reconnaissent maintenant que ce changement a compromis l’intégrité des données, ce qui aura un effet de contagion sur d’autres enquêtes essentielles à la planification économique et sociale.

Les politiques sur la recherche du gouvernement sont imprévoyantes et dangereuses. L’ACPPU recommande au gouvernement les mesures suivantes pour faire en sorte que la population canadienne puisse tirer profit des avantages de la recherche scientifique :

·         Augmenter de 500 millions de dollars le financement de la recherche de base fourni aux trois organismes subventionnaires du Canada.

·         Faire en sorte que le financement consacré à la recherche soit fourni par les organismes subventionnaires du Canada et que les décisions relatives aux priorités, aux projets, aux programmes et aux bourses soient prises au terme du processus d’examen par les pairs par l’entremise des organismes de financement afin de s’assurer que les décisions sont prises par les scientifiques eux‑mêmes qui effectuent une évaluation au mérite. 

·         Majorer de 10 p. 100 le budget de base de Statistique Canada.

B.  Augmenter l’aide fédérale à l’éducation postsecondaire

Les universités et les collèges du Canada font face à une situation financière incertaine. Bon nombre d’établissements d’enseignement imposent un gel de l’embauche, des mises à pied et des réductions de services qui nuiront gravement à la qualité du système d’enseignement postsecondaire au Canada. Entre-temps, les gouvernements provinciaux indiquent que l’accroissement du financement sera limité dans l’avenir.

Les budgets des universités et des collèges canadiens ne sont pas suffisants. La récession a eu un certain impact, mais c’est le sous-financement public à long terme qui constitue la principale source du problème. Le financement public des universités et des collèges a chuté radicalement au cours des deux dernières décennies. En 1990, les subventions de fonctionnement accordées par le gouvernement représentaient 80 % du total des revenus d’exploitation des universités. En 2009, ce pourcentage avait chuté à 58 p. 100.

Ce recul s’explique en grande partie par la diminution des transferts d’argent du gouvernement fédéral aux provinces à partir du milieu des années 1990. Bien que le gouvernement actuel ait dans une certaine mesure rétabli une partie du financement aboli, les transferts fédéraux au titre de l’éducation postsecondaire demeurent très inférieurs aux niveaux antérieurs, si on tient compte de l’inflation et de la croissance démographique. Les transferts actuels pour l’éducation postsecondaire dans le cadre du programme de Transfert social canadien (TSC), qui s’élèvent à environ 3,5 milliards de dollars en 2011‑2012, demeurent inférieurs de 400 millions de dollars au seuil nécessaire pour simplement ramener le financement aux niveaux de 1992‑1993, compte tenu de l’inflation et de la croissance démographique. De plus, le financement du TSC augmentera en principe de seulement 3 % par année et il s’agit d’un taux de croissance qui ne tient pas suffisamment compte de l’augmentation des coûts et de la demande accrue dans le secteur des études postsecondaires. Ce facteur d’indexation est nettement inférieur aux besoins indiqués par les gouvernements provinciaux.

Le gouvernement fédéral doit prendre d’autres mesures pour corriger ce déséquilibre budgétaire. Il doit à tout le moins maintenir le facteur d’indexation à son niveau actuel. Tandis que s’amorcent les négociations avec les provinces pour renouveler ces ententes fiscales, le gouvernement fédéral doit être prêt à envisager une hausse du facteur de sorte qu’il tienne mieux compte de la croissance du secteur de l’éducation postsecondaire. L’ACPPU lui recommande d’élaborer, dans le contexte de ces négociations et de concert avec les provinces, une stratégie pancanadienne visant à améliorer la qualité et l’accessibilité des études postsecondaires. En premier lieu, le gouvernement fédéral doit être disposé à fournir plus d’argent aux provinces pour le financement des collèges et universités. Elle lui propose d’augmenter de 400 millions de dollars, au cours de l’exercice 2012‑2013, les fonds de transfert fédéraux au titre de l’éducation postsecondaire afin de ramener le financement au niveau de 1992‑1993. Au cours des trois prochaines années, le montant total du transfert doit passer à 0,5 p. 100 du PIB, niveau comparable à celui de la fin des années 1970 et du début des années 1980. Si le gouvernement peut se permettre de perdre six milliards de dollars en revenus à la suite de réductions d’impôt pour les sociétés, il est donc certain, étant donné les retombées économiques, sociales et culturelles générées par les collèges et universités du Canada, qu’un nouvel investissement important est raisonnable et nécessaire. Pour assurer l’augmentation du montant du transfert fédéral pour atteindre 0,5 p. 100 du PIB à compter de 2012-2013 et au cours des deux exercices ultérieurs, il faudrait procéder à une accélération cumulative du financement d’environ 4,8 milliards de dollars, à raison d’environ 1,6 milliard de dollars par année. Il s’agit là d’un pourcentage de tout juste 0,5 p. 100 de notre richesse naturelle. Compte tenu des avantages économiques, sociaux et culturels générés par les collèges et universités du Canada, cependant, un tel investissement est raisonnable et indispensable.

L’ACPPPU reconnaît que la capacité du gouvernement fédéral de corriger le sous‑financement des universités et collèges canadiens est limitée par des lacunes fondamentales dans la méthode utilisée pour effectuer les transferts d’argent aux provinces au titre de l’éducation postsecondaire. Le TSC actuel est un bloc de financement inconditionnel. Les décisions quant au poste de dépense, quant à la façon de dépenser l’argent ou même quant à la question de dépenser effectivement les fonds, sans parler de la décision quant à la question de dépenser les fonds pour l’éducation postsecondaire, appartiennent entièrement aux autorités provinciales.  Au contraire, le financement des soins de santé fait l’objet d’un crédit distinct, le Transfert canadien en matière de santé et obéit à des normes nationales en vertu de la Loi canadienne sur la santé. L’ACPPU recommande le remplacement du TCS par un fonds autonome distinct destiné expressément aux services sociaux et à l’enseignement postsecondaire. Un nouveau transfert au titre de l’enseignement postsecondaire devrait être régi par une loi canadienne sur l’enseignement postsecondaire qui s’inspirerait de la Loi canadienne sur la santé. Cette loi devrait énoncer clairement les responsabilités et les attentes des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, établir les règles et les principes imposés dans l’ensemble du pays, prescrire des mécanismes d’application, définir une formule de financement stable et durable en plus de créer un conseil consultatif de l’enseignement postsecondaire auquel les provinces seraient représentées.

C. Améliorer l’accessibilité

La diminution des fonds publics destinés aux universités et aux collèges a entraîné une hausse sans précédent des frais de scolarité. La moyenne des droits de scolarité pour les études de premier cycle au Canada a subi une hausse marquée de plus de 287 % depuis 1990‑1991, passant d’environ 1 200 $ à près de 5 000 $.  Quant aux droits de scolarité imposés aux étudiants des programmes de formation professionnelle, la hausse a encore été plus vertigineuse.

Des études universitaires ou collégiales constituent de plus en plus une exigence de base pour participer au marché du travail. Les Canadiens sont plus nombreux que jamais à chercher à perfectionner leurs compétences et à poursuivre d’autres études universitaires ou collégiales. Cependant, bon nombre d’entre eux ne sont pas en mesure de composer avec l’augmentation des droits de scolarité et des frais de subsistance.  

Le budget 2011 ne fournit qu’un modeste allègement aux étudiants qui doivent faire face à de lourdes dettes et à des droits de scolarité et autres coûts en hausse. Le gouvernement devrait fixer comme priorité dans son prochain budget l’augmentation de l’aide financière à la population étudiante dans le cadre du Programme canadien de bourses aux étudiants. Le montant annuel versé aux étudiants à faible revenu atteint à peine 2 000 $, ce qui ne suffit même pas à payer la moitié des frais de scolarité dans la plupart des provinces. L’ACPPU recommande de faire passer à 5 000 $ le montant maximal des bourses, niveau qui correspond davantage aux frais de scolarité moyens pour des études universitaires de premier cycle au pays. 

Il faudrait aussi que le gouvernement prenne d’autres mesures  pour freiner l’escalade rapide de l’endettement des étudiants. Une stratégie concertée des gouvernements fédéral et provinciaux pour le financement des collèges et universités s’impose afin de leur permettre de réduire les frais de scolarité et de verser des bourses généreuses à un nombre accru d’étudiants. D’ici là, il faut bonifier l’aide offerte aux étudiants qui ont de la difficulté à rembourser leur prêt. Le gouvernement fédéral devrait par exemple hausser substantiellement le seuil de revenu qui sert à établir l’admissibilité des étudiants à un congé de paiement des intérêts sur leurs prêts, réduire le taux d’intérêt pour le remboursement des prêts obtenus grâce au programme canadien, et accroître le plafond de réduction de la dette pour les emprunteurs qui ont de la difficulté à rembourser leur prêt.

La hausse des frais de scolarité impose un fardeau supplémentaire aux étudiants autochtones du Canada. Pendant que ces frais grimpaient en flèche, les fonds versés aux conseils de bande pour aider financièrement les étudiants autochtones sont demeurés inchangés. Des milliers de jeunes Autochtones admissibles qui désirent d’obtenir l’argent dont ils ont besoin afin de poursuivre leurs études postsecondaires voient donc leur nom rester sur de longues listes d’attente. Il est temps que le gouvernement fédéral, pour respecter ses engagements historiques envers les Premières nations du Canada, reconnaisse que l’éducation est un droit découlant des traités et offre un financement suffisant. Comme l’a mentionné l’Assemblée des Premières nations, l’investissement dans l’éducation ne représente pas seulement un avantage pour les communautés des Premières nations; il s’agit d’un plan durable et à long terme pour l’économie canadienne. 

III.  Conclusion

Le budget2012 devrait contenir plus de mesures pour répondre aux besoins pressants dans les domaines de l’éducation postsecondaire et de la recherche. De nombreuses provinces devant faire face à un déficit et à une dette plus élevés, le gouvernement fédéral possède quant à lui toute la marge de manœuvre fiscale nécessaire pour effectuer les investissements nécessaires dans les activités de fonctionnement de base des universités et collèges. Le sous‑financement continu des organismes subventionnaires et le détournement des ressources affectées à la recherche scientifique fondamentale restent une importante source de préoccupation et un point faible. Le défaut d’investir dans la recherche soumise à l’examen indépendant par les pairs continuera de rendre la tâche difficile au milieu de la recherche qui a pour mandat de servir l’intérêt du public en faisant avancer les connaissances et en favorisant le développement économique, social et culturel du Canada.